Gamin fan de westerns, lycéen ébloui par la découverte des films de Bresson et Dreyer, Jacques Doillon, issu d'un milieu modeste, estime que le monde du 7e art lui est inaccessible, et enchaîne les petits boulots. Alors que se profile une carrière d'assureur, il fait un stage de six mois dans un laboratoire de cinéma. On fait bientôt appel à lui comme assistant monteur, sur des films de Robbe-Grillet ou Reichenbach. A partir de la fin des années 60, parallèlement à son activité de monteur, il tourne plusieurs documentaires de commande, sur des sujets aussi variés que les circuits de moto ou le monde paysan.
Le premier véritable court métrage de Jacques Doillon, On ne se dit pas tout entre époux (1971), est l'adaptation d'une BD de Gébé. Le cinéaste et le dessinateur de Charlie Hebdo poursuivent leur collaboration avec le long métrage L'An 01, film-manifeste impregné de l'esprit de mai 68, tourné en noir et blanc et en 16 mm, qui repose sur l'idée utopique : "Et si on faisait tous un pas de côté ?" En 1974, il signe un deuxième film plus personnel, Les Doigts dans la tête, sur les mésaventures sentimentales et professionnelles d'un apprenti boulanger, salué par François Truffaut, et par une critique qui forge alors un peu hâtivement à son propos le concept de "nouveau naturel".
Lorsque Maurice Pialat décline l'offre de Claude Berri de tourner Un sac de billes, c'est encore Truffaut qui suggère au producteur d'engager Doillon. Après ce succès commercial, le réalisateur se lance dans des projets plus singuliers, réalisant en 1978 à la fois La Femme qui pleure et La Drôlesse (Prix du Jeune cinéma à Cannes en 1979), deux films représentatifs d'une ?uvre qui privilégie les études de couple en crise et l'exploration du monde de l'enfance et de l'adolescence. S'il se plaît à faire tourner des débutants (parmi lesquels les futures stars Juliette Binoche et Judith Godrèche), cet auteur exigeant travaille aussi avec des acteurs confirmés, qu'il pousse dans leurs retranchements en multipliant les prises. Citons Jane Birkin, sa compagne pendant douze ans, héroïne de trois films dont La Pirate, âpre huis clos qui secoue la Croisette en 1984, ou le tandem Isabelle Huppert-Béatrice Dalle (La Vengeance d'une femme, 1988).
Très prolifique dans les années 80 et 90 (un film par an en moyenne), soutenu par une large partie de la critique, le cinéaste obtient les faveurs du public en 1990 grâce au Petit criminel (Prix Louis-Delluc), portrait sensible d'un jeune délinquant parti à la recherche de sa soeur. Amateur de Nathalie Sarraute, Jacques Doillon, dont le cinéma est hanté par le théâtre (La Puritaine) attache un soin tout particulier au langage, qu'il filme des ados des beaux quartiers (Le Jeune Werther, 1993), des jeunes des cités (Petits Frères, 1999), les amours de Benjamin Constant et Germaine de Staël (Du fond du coeur) ou même une fillette de 4 ans (le très audacieux Ponette, qui crée la polémique à Venise en 1996). Dans les années 2000, l'intransigeant Doillon, qui fait l'objet d'une intégrale à la Cinémathèque en 2006, a de plus en plus de mal à financer ses films : cinq ans séparent Raja (tourné au Maroc en 2003) du Premier venu, nouvelle variation autour des caprices de l'amour, présentée à Berlin en 2008. Toujours sur le même thème (l'amour et ses complications), Jacques Doillon tourne l'année suivante Le Mariage à trois dans lequel il retrouve Pascal Greggory, sept ans après Raja.
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